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Eric Gabriel
La flamme d’amour

LA FLAMME D'AMOUR
Nouvelle classée en 4ème position au concours de Thouaré-sur-Loire 2011

Il lui fallut moins de deux secondes pour soulever l’oreiller de la main gauche et le plaquer contre sa poitrine en guise de bouclier, tandis qu’au même instant sa main droite s’emparait d’un petit Sterling 300S calibre 6.35 jusque-là tapi sous ledit oreiller. Il braqua l’arme droit devant lui, dans l’obscurité. Le doigt sur la détente. Sans hésiter un instant, il pressa la gâchette ! Une flammèche tremblotante s’extirpa alors du canon du briquet-pistolet et vint rougir le bout de la Dunhill mentholé de Louise. Elle avala d’un coup une bouffée grisâtre, qu’elle rejeta d’un souffle en plein visage de son amant.

- Tu devrais remettre du gaz dans ton pistolet, sinon gare à la panne… Il balança son faux Sterling et lui agrippa le cou, entraînant sa tête contre son oreiller. Ainsi collée contre sa poitrine, elle voyait son visage inversé. Les yeux de Clovis se perdaient dans les nuances du brun au gris. Tantôt mielleux lorsque le soleil d’été éclairait son visage, parfois taupe à la faveur d’une lumière tamisée souvent sombre quand le doute l’envahissait. Ce soir, Clovis la dévisageait avec les yeux couleur du désir et son regard était sans nuance. 

- Epouse-moi, Clovis ! Lança-t-elle. Epouse-moi

- Tu oublies sans doute Marianne ? C’est dans son lit que tu viens de me faire l’amour… 

Elle se releva, éteignit sa cigarette et tira ses cheveux en arrière. Ses seins, fiertés de sa jeunesse, se gonflèrent d’orgueil. Cette même poitrine qui avait tourné les sens de Clovis lors du tournage d’une scène. Si ce film, n’eut aucun succès auprès du public, cette jeunette prometteuse, au talent réel, lui apparut comme l’incarnation de la femme qu’il attendait. Certes, Marianne, son épouse depuis douze ans était toujours désirable et aussi un pédiatre renommé, avec laquelle il n’entretenait plus qu’une relation d’intellectuels. Leurs vies se croisaient au gré des mondanités organisées, petits fours, Champagne et ragots étaient leurs distractions favorites. Il y croisait parfois Louise et feignait de la connaître à peine. Alors que, un an auparavant, une scène torride les avait définitivement soudés 

- Quitte-la ! Tu ne l’aimes plus et elle non plus… Cela se voit. Chuchota- t- elle.

Elle avait un petit accent provincial qui la rendait d’autant plus excitante. Bien sûr qu’il allait quitter sa femme, mais en homme responsable, il se devait de mettre les formes. Il se faisait aussi un délicieux plaisir à faire patienter sa maîtresse. Marianne était une femme de standing, née de famille bourgeoise ayant placé un cousin comme Secrétaire d’Etat. Il fallait donc des égards à leur rupture. Clovis avait pensé justifier leur divorce par le manque d’enfant. Car, par une pirouette de la vie, Marianne ne pouvait enfanter. Elle l’apprit quelques mois après avoir reçu son diplôme de pédiatre. Elle s’en fit une raison, prétextant à qui voulait l’entendre, que de soigner des mômes toute la journée lui suffisait. Un jour, Clovis avança l’argument de l’adoption. Marianne lui répliqua sèchement que dans sa famille on n’adoptait pas de petits noirs, ni de petits jaunes et qu’on laissait cela aux gens du Show-biz. Clovis faillit préciser qu’il en faisait aussi partie, mais il s’abstint. A aucun moment Marianne ne songea que lui, pouvait être affecté de l’absence d’enfant. Sa vision de l’éducation dans l’intimité n’était pas celle qu’elle projetait en cabinet médical. Louise avait déjà parlé d’un beau petit garçon au regard dur comme son papa. A plus de quarante ans, il devait prendre des décisions. Elle était sa cadette de plus de quinze ans et il ressentait comme un honneur, le désir que ce petit bout de femme éprouvait pour lui. Sa blondeur naturelle, son humour de gamine, l’avaient séduit totalement. Il l’embrassa avec tendresse. 

Ils se revirent moins de dix jours après. Marianne partit à Nancy pour un congrès et leur avait abandonné trois jours de liberté. Seule, Marthe, la femme de ménage risquait de les surprendre, mais Clovis ferait attention. Louise se lova contre lui, les draps de satin l’enroulant comme une deuxième peau de douceur. Son visage était reposé, détendu, après la mise en boite de la dernière scène d’un téléfilm sur le Marquis de Sade. 

- On peut parfois tricher avec la réalité, rarement avec la fiction ! On y aurait mis trop de coeur. 

- Elle tendit le bras et saisit une cigarette, son péché de jeune femme. 

- Donne-moi de ton feu sacré… Mon marquis à moi.  

Clovis empoigna le petit Sterling-briquet posé à ses côtés et appuya sur la détente. Marianne gara son Austin Mini et les gravillons de la cour crissèrent lors du freinage. Marthe l’accueillit sur le perron, visiblement la vieille femme au chignon blanc d’un autre temps, était pressée de partir. 

- Madame, il y a le policier de l’autre jour, vous savez pour… 

- Merci Marthe, je sais. Ne venez pas demain, j’ai besoin de repos. A vendredi.  

Un homme jeune, de faible corpulence, un veston bon marché à son bras, se leva du fauteuil à son arrivée. Elle, sans se presser, déposa son sac et son trench dans l’entrée. La maison était moderne, composée d’un savant mélange de meubles issus d’héritages, d’explorations chez les brocanteurs ou d’achats bien pensés auprès de designers cotés. Le goût de Marianne et les revenus substantiels de son époux d’acteur, avaient créé cette harmonie entre confort, audace et sérénité.  

- Madame, je reviens vous voir pour l’enquête, vous n’y voyez pas d’inconvénients ? S’enquit le policier. 

- Après dix heures de braillements de mômes malades, de dizaines de coups fils pas toujours bien intentionnés, de regards de travers de mes collègues, des justifications à n’en plus finir… effectivement, je n’attendais que vos questions pour me délasser ! Commençons de suite, nous aurons fini d’autant plus vite, commissaire.  

Malgré lui, l’homme sourit en s’asseyant. Les nombreuses rencontres qu’il avait eues avec elle, ne l’avaient jamais laissé indifférent. Et il appréciait sa dureté et son franc-parler.  

- Lieutenant, rectifia-t-il, pas Commissaire mais qui sait après cette affaire… 

- N’ajoutez pas du cynisme à ma douleur et à mon déshonneur. Lieutenant ! 

Il s’en voulu. Il devait corriger ce défaut qui le conduisait souvent à utiliser la moquerie dans ses conversations. Mais un bon mot… il reprit : 

- Madame, votre mari, a prétendu que quelqu’un avait volontairement procédé au changement du petit pistolet qu’il gardait sous son oreiller, au profit, enfin si je puis dire, d’un vrai, copie conforme du briquet. Que pouvez-vous me dire à ce sujet ? 

Elle haussa les épaules. 

- Je n’ai jamais vu ce pistolet avant, enfin avant qu’il ne tue cette gamine. Quelle stupidité ! De toute façon nous faisions chambre à part depuis plus de six mois. Problème de ronflements, de sommeil agité, les aléas de la vie de couple. 

- Effectivement, votre époux l’avait reçu il y a trois mois en souvenir d’un tournage. Après un temps d’attente il ajouta, vous ne savez pas où il serait ? Votre femme de ménage ne l’a pas retrouvé. Il sortit alors une cigarette d’un paquet rouge et blanc. Elle fit mine de réfléchir. 

- Demandez à Clovis, c’est lui l’armurier de la famille ! Ironisa-t-elle. Le jeune policier se passa la main dans ses cheveux roux. Ses oreilles décollées le faisaient ressembler à Nestor Burma dessiné par Tardi. Mais il avait su faire taire les railleries de ses collègues par une compétence et un flair absolu. 

- Votre époux est toujours choqué, vous savez ? Il prétendait ignorer la substitution. D’ailleurs c’est lui-même qui a prévenu les secours. Vous auriez du feu par hasard ?

Elle se leva visiblement excédée. 

- Comme dans les mauvais romans policiers, le coupable appelle toujours la police en premier. A présent, j’aimerais me reposer, Lieutenant, et si je retrouve ce fameux briquet je vous ferai signe. D’ailleurs, on ne fume pas chez moi, désolée. Il la remercia et quitta la maison. Elle attendit que la voiture sorte de sa propriété et se jeta sur un petit meuble dix-huitième en merisier. Elle ouvrit le tiroir et souffla de soulagement. Elle s’empara du briquet et le cacha dans sa poche. 

- Quel imbécile ce policier, l’arme était à moins d’un mètre de lui. Quelle idiote j’ai été de ne pas m’en débarrasser avant. Je le fais de suite. Cette petite mijaurée n’a eu que ce qu’elle méritait ! Marianne sortit par la porte de la cuisine et se retrouva dans le jardin. Elle prit soin de chausser ses bottes. Le temps était humide et le sol ne serait pas trop revêche. Elle s’empara d’une bêche et creusa un trou au milieu de trois arbustes plantés côte à côte. A moins de trente centimètres, profondeur qui lui sembla convenable, elle jeta le pistolet et referma prestement le trou. Sa mission accomplie elle s’essuya le front et sourit de satisfaction. 

- Vous n’avez toujours pas de feu ? Elle hurla en se retournant. Le policier la tenait en joue avec un petit Sterling 300S. La cigarette pendante entre les lèvres, il arborait un rictus de contentement. Il dirigea alors le canon du pistolet vers sa cigarette et pressa la détente. Une petite flamme s’en échappa et brûla l’extrémité de sa Marlboro. 

- Vous venez d’enterrer l’arme du crime, enfin une réplique. Il souffla une bouffée agréable qui s’évapora aussitôt. L’arme est en cours d’analyse, comme vous le savez déjà on n’y trouvera aucune de vos empreintes, de traces d’ADN, car vous êtes trop intelligente pour en avoir laissé.
En revanche sur ce pistolet… Son regard se tourna vers l’arme-briquet qu’il tenait en main Un gant blanc la recouvrait et avec précaution, il replaça le faux Sterling dans un sachet hermétique.
Vous aviez écrit un bon scénario, madame, mais vous n’avez pas choisi la bonne fin ! 

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Éric Gabriel